samedi 9 novembre 2013

Rachat de Nokia par Microsoft, entre hasards et théorie du complot

Lors du premier trimestre 2014, la branche téléphonie mobile de Nokia devrait appartenir à Microsoft, ceci en échange d'un chèque de 5,44 milliards d'euros (soit moins que pour Skype). Mais depuis cette annonce, et en réalité depuis la nouvelle de son arrivée dès le mois de septembre 2010, tous les yeux sont braqués sur Stephen Elop, le patron de Nokia. Il faut dire que de nombreux points étonnants ont de quoi rendre suspects tous les agissements de l'ancien président Business de Microsoft, et ce rachat par son ancien employeur.

Une « crise » en 2009/2010 à tempérer

Avec 64,6 millions de téléphones écoulés dans le monde lors du troisième trimestre 2013, Nokia est aujourd'hui encore une entreprise majeure dans le secteur de la téléphonie. En réalité, seul Samsung fait mieux à ce jour. Pourtant, l'image de la société finlandaise s'est étiolée ces dernières années, notamment du fait de ses choix stratégiques dans le secteur des smartphones, marché phare et lucratif.

Mais revenons trois ans en arrière. En 2010, les iPhone et les smartphones sous Android montent en puissance, faisant de l'ombre aux téléphones plus classiques. Pourtant, si l'on analyse de près les données de 2010, année où Nokia a décidé de licencier son patron présent depuis quatre ans à ce poste (et trente ans au sein de l'entreprise), y avait-il péril en la demeure ? Pas vraiment. Certes, les parts de marché gigantesques de Nokia étaient déjà en fort recul cette année là, avec 33,1 % du secteur des smartphones, contre 39 % en 2009 selon IDC. Le dernier trimestre 2010 était pire encore avec une part de marché de 28 %, contre 38,6 % fin 2009. Mais c'est surtout oublier que Nokia a écoulé 100,3 millions de smartphones cette année (+48,2 %), dont 28,3 millions au dernier trimestre (+36,1 %).

Depuis de nombreux trimestres, Apple perd des parts de marché dans le secteur des smartphones du fait de la pression imposée par Samsung. Annonce-t-on pour autant que la société américaine est en crise, qu'elle doit changer de direction ou même de système d'exploitation  ? Non, car les ventes en quantité restent importantes, et Apple perd de l'influence car sa croissance est inférieure à celle des concurrents, tout simplement. Cela ne signifie pas néanmoins que la pomme doit entamer une révolution et changer de tout au tout.

C'est pourtant ce qu'a fait Nokia à cette époque. Bien entendu, certains noteront qu'en réalité, les parts de marché du constructeur ne se sont pas étiolées en 2010, mais que cela avait déjà commencé en 2009. Mais là encore, il ne s'agissait que de pourcentage, non de quantité. Si effectivement Symbian perdait de sa superbe et qu'iOS et Android imprimaient une pression non négligeable, l'avis de décès de Nokia semblait encore bien loin au regard de ses niveaux de ventes et de ses taux de croissance.

Elop, un choix avant tout étonnant

En septembre 2010, le n°1 du téléphone au monde (depuis 1998 aux dépens de Motorola) a donc annoncé qu'il était temps de changer de direction et de stratégoe. Stephen Elop a ainsi remplacé Olli-Pekka Kallasvuo (dit OPK) le 21 septembre précisément. Mais pourquoi ce choix de Stephen Elop ? Après tout, le Canadien n'avait aucune expérience réelle dans le secteur de la téléphonie mobile. Il a en effet travaillé pour des sociétés comme Lotus Development, Macromedia (sept ans), Adobe (un an), Juniper Networks (un an) et la branche Business de Microsoft (durant moins de trois ans). Qui plus est, son CV indique qu'il a travaillé en tant que Directeur des Systèmes d'Information au sein de la chaîne d'alimentation Boston Chicken entre 1992 et 1998, année où la société a fait usage du chapitre 11 de la loi sur les faillites avant d'être rachetée un peu plus tard par McDonald's. Rajoutons qu'Elop a été PDG de Macromedia trois mois à peine avant... son rachat par Adobe.

En bref, hormis son expérience générale, le CV de Stephen Elop n'avait pas de quoi faire sauter au plafond ni de quoi laisser espérer une remontée des parts de marché de la part de Nokia. D'autant plus qu'auparavant, les patrons du géant de la téléphonie mobile avait toujours été Finlandais. Ce choix a-t-il été poussé par Microsoft ? Le conseil d'administration de Nokia a-t-il été manipulé ? Le but était-il de faire d'Elop un cheval de Troie afin de réduire la valeur de Nokia et permettre à Microsoft de le racheter pour une bouchée de pain ? Beaucoup le pensent, certains le sous-entendent fortement voire l'affirment, notamment en Franceaux États-Unis, et bien entendu en Finlande (ici ou encore ) où l'affaire fait évidemment grand bruit tant l'entreprise a une importance majeure pour son image. Rappelons tout de même qu'à ce jour, Nokia (dans son ensemble) vaut 28 milliards de dollars, contre plus de 37 milliards quand Stephen Elop a été mis en place et près de 150 milliards de dollars à son apogée (boursière) fin 2007.

Une vente et un contrat équivoques

La suite de l'histoire entre fin 2010 et 2013 est plus connue et ne mérite pas que nous nous penchions dessus longuement, cela a déjà été fait maintes fois. En résumé, Elop a décidé en février 2011 de s'allier avec Microsoft, de choisir Windows Phone et donc d'abandonner peu à peu Symbian. Les premiers modèles de Nokia étaient en outre fournis avec Windows Phone 7. Or, quelques mois à peine après leur mise en vente, Microsoft annonçait que les modèles WP7 ne seraient pas mis à jour vers la version 8 du système à cause de changements techniques très importants. Au temps pour la pérennité commerciale des premiers Lumia… 

Stephen Elop (à gauche),Steve Ballmer (à droite)
Mais si les suspicions envers Stephen Elop étaient déjà importantes du fait de son passé et de ses choix stratégiques, la vente de la division mobile de Nokia à Microsoft a ajouté un argument de plus aux plus dubitatifs. Sans surprise, Stephen Elop va réintégrer Microsoft ; il a d'ailleurs quitté son poste de PDG de Nokia ainsi que son siège au sein du conseil d'administration dès l'annonce du rachat. Mais nous avons surtout appris que cette vente allait lui rapporter un pactole de 18,8 millions d'euros, soit environ 25 millions de dollars. Une nouvelle à la fois choquante pour la Finlande où les licenciements ont été nombreux, au point d'agiter la sphère politique locale, et en même temps peu étonnante pour les adeptes de la théorie du complot de la première heure.

Le problème de ce bonus géant réside dans l'association de plusieurs faits surprenants. Tout d'abord, le contrat d'Elop stipulait qu'une prime lui serait versée en cas de vente à une autre société (permettant à l'action de rebondir), clause qui n'était pas présente dans le contrat du précédent PDG de Nokia. Une clause qui a surtout incité Elop à élaborer une stratégie visant à vendre Nokia, ou tout du moins une partie de la société. Autre point majeur, nous savons que ce bonus sera majoritairement pris en charge par Microsoft et non par Nokia, pourtant son employeur. De quoi encore alimenter l'idée du Cheval de Troie. Mais ce n'est pas tout. Suite à ces révélations de la presse finlandaise, confirmées plus tard par Nokia elle-même dans ses documents destinés aux investisseurs, la direction de la société européenne a commencé à s'emmêler les pinceaux, assurant dans un premier temps que le contrat d'Elop était similaire à son prédécesseur (ce qui est faux), ou encore en déclarant que si Microsoft n'avait pas payé 70 % de cette prime, Nokia aurait dû la prendre en charge à 100 %. Sachant que cette particularité a été négociée la veille de l'officialisation du rachat. Rajoutons enfin qu'il a été demandé à Elop de rembourser son bonus, demande déclinée par ce dernier pour la simple et bonne raison qu'il était en train de divorcer et que sa compagne comptait bien avoir sa part du pactole...

Aujourd'hui, Risto Siilasmaa, président du conseil d'administration et actuel PDG de Nokia par intérim (moyennant une toute petite prime ridicule de 500 000 euros), est dans une situation périlleuse. Le Finlandais est en effet accusé d'avoir réalisé de fausses déclarations au sujet du contrat de Stephen Elop, en rapport à ce que nous avons décrit ci-dessus. Les petits actionnaires de Nokia ont d'ailleurs très peu apprécié ces propos. Notez aussi que si tous les regards se sont tournés vers Elop quant aux relations entre Nokia et Microsoft, il faut savoir que c'est en réalité Siilasmaa qui a principalement négocié la vente de sa division mobile à la firme américaine. Le fondateur et ex-président de F-Secure est aussi présent au conseil d'administration de Nokia depuis 2008. Il était donc présent lors du choix de Stephen Elop en 2010.

Le 19 novembre prochain, soit dans dix jours, se tiendra une réunion extraordinaire des actionnaires. Il sera alors question de valider ou non l'acquisition par Microsoft. La prime exceptionnelle versée à Stephen Elop sera aussi en jeu.

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire